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Channel: Chroniques du Cinéphile Stakhanoviste
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Un Condé - Yves Boisset (1970)

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Favenin, policier désabusé, veut venger la mort de son coéquipier tué par des gangsters. Au mépris des lois, il n'hésite pas à user du chantage et de la torture pour retrouver les assassins et préfèrerait tuer plutôt qu'arrêter le coupable.

Un Condé est la première réussite majeure d’Yves Boisset, et le film qui amorce la veine engagée et polémique qui irriguera toute son œuvre à venir. Il s’agit d’une adaptation du roman La Mort d’un Condé de Pierre Lesou, auteur ayant déjà donné ses lettres de noblesses au polar filmé avec Le Doulos de Jean-Pierre Melville (1962) également tiré d’un de ses livres. Le film s’inscrit dans un contexte post-Mai 68 très contestataire où l’autorité et les méthodes policières sont grandement remises en causes. Des films comme Le Pacha de Georges Lautner (1968) ou dans une veine plus austère Max et les ferrailleurs de Claude Sautet (1971).

Le début de l’histoire établit initialement un schisme clair entre le monde policier et criminel. Un propriétaire de boîte nuit menacé par un caïd refuse par principe la main tendue par Barnero (Bernard Fresson), policier idéaliste et désabusé. L’assassinat du propriétaire va radicaliser et finalement réunir fatalement ces mondes policiers et criminels. Dan Rover (Gianni Garko), meilleur ami du défunt, va engager une vendetta contre le coupable. Durant son action, Vitali (Michel Constantin) tue également Barnero présent sur les lieux. Dès lors une seconde mécanique de vengeance s’enclenche, celle de Favenin (Michel Bouquet), collègue et ami de Barnero, qui va employer les méthodes les plus répréhensibles pour parvenir à ses fins. La défiance initiale entre civils et policiers débouche donc sur cette boucle de vengeance, dans une escalade sans retour.

La radicalité du traitement et la frontalité de la violence sont cependant contrebalancées par l’humanisme de Boisset. Dan Rover était un truand retiré que les évènements font rechuter, tandis que si les graines du virage de Favenin étaient déjà là (il vient d’être muté pour désobéissance), c’est paradoxalement en poussant Barnero (qui souhait laisser échapper les assassins du caïd par mauvais esprit) vers une attitude plus digne qu’il provoquera involontairement sa mort. Cette zone grise intime intervient donc tout naturellement même lors de leurs agissements les plus discutables, notamment Favenin. La prestation glaciale de Michel Bouquet amène de façon passionnante une plus grande ambiguïté qu’un Lino Ventura initialement envisagé mais rebuté par la noirceur du personnage. Ventura acteur aux émotions et à la physicalité plus frontale n’aurait pas pu amener la dimension à la fois cérébrale et vulnérable dégagée par Bouquet. 

Il amène avec lui le passif plus faillible de ses rôles antérieurs (notamment chez Chabrol) tout en endossant une présence taciturne et menaçante qui renouvèle son registre. Ainsi les exécutions sommaires, les passages à tabacs et les intimidations verbales le rendent effrayant, mais l’armure se fissure quand il est ramené aux responsabilités de son statut de policier. La scène de confrontation avec Vitali est remarquable à ce titre, le criminel assumant ce qu’il est quand le policier vacille face aux vérités qui lui sont assénées. C’est encore plus intense face au personnage de Raymond Aulnay (Rufus), contestataire de gauche n’ayant aucune confiance dans l’autorité policière et qui, roué de coup devant son enfant lâche à celui-ci cette terrible phrase : « Regarde bien, c’est ça un flic ».

Le ton et l’atmosphère du film donnent dans une froideur toute melvilienne sans toutefois en atteindre l’abstraction et la maîtrise formelle, mais Boisset parvient tout de même à creuser un sillon qui lui est vraiment propre. Il connaîtra d’ailleurs ses premières bisbilles avec la censure, le ministère de l’intérieur de l’époque Raymond Marcellin, y voyant un violent réquisitoire contre la police. C’est incontestable au travers de certains protagonistes comme le très cynique et laxiste le commissaire divisionnaire incarné par Adolfo Celli. Au prix de quelques coupes, Boisset pourra néanmoins sortir son film, qui auréolé par cette « publicité » sera un succès commercial. La voie était ouverte pour d’autres brûlots. 

Sorti en bluray français chez ESC 


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